Prologue
Sombre et vide, le songe était.
Mais en dépit de ce néant,
Des visages se dessinaient.
J’y reconnus ce fainéant.
Apparaissait également
Une nouvelle silhouette,
Celle d’un malandrin d’antan
Habitué à me tenir tête.
Dans les profondeurs de l’abîme
Disparurent les deux compères.
Etait coupable de ce crime,
La créature des enfers.
S’introduire en terre sacrée
Constituait une grosse erreur.
Le dragon ancien réveillé,
Sur nous s’abattait le malheur.
Après ce tragique accident,
Je n’étais plus du tout le même
Et pour tous ce fut un problème.
Mais plus rien n’était important.
Mon rôle de chef mis en cause,
S’imposait alors une pause.
Finalement, un an plus tard
Se dresserait notre étendard.
De nouveau serait réunies
Toutes les lames chasseresses
Et sans doute aussi de nouvelles…Trevi in
Mémoires poétiques d’une lame chasseresse.
Chapitre 1 – Retrouvailles au Bon Pèlerin.
[TREVI]
Adossé au mur, un mystérieux jeune homme balayait la salle du regard. Aventuriers, pèlerins, commerçants, marchands ambulants ou encore chasseurs se réunissaient ici pour discuter et caresser la bouteille. L’ambiance était festive, comble était la salle. Comme à son habitude, la patronne aboyait sur les employés qui flânaient ou bavardaient de trop. Certes la taverne du « Bon Pèlerin » était la seule du village, mais un tel rassemblement ne pouvait s’expliquer uniquement par ce fait. En réalité, le petit village de Trüskka était réputé pour son grand tournoi. Précisément, ce jour-là suivait la fin de cet évènement annuel. Nombre de participants était déjà reparti et l’on imaginait mal que la taverne ait pu accueillir encore plus de gaillards quelques jours auparavant. Devant ce tableau ainsi dressé, le jeune homme ne put s’empêcher d’afficher un léger rictus que ne manqua pas de remarquer Trevi qui était assis à une table, à quelques mètres à peine de ce dernier.
«
Allons, déclara Trevi à son adresse,
profite de la fête Pendragon ! -
Très peu pour moi, rétorqua-t-il ». Trevi savait pertinemment que son ancien compagnon d’arme n’était pas quelqu’un de très bavard. En effet, il s’agissait d’un chasseur aguerri de dix-sept ans qui maniait avec aisance la lance mais qui se trouvait finalement être assez introverti. En connaissance de cause, l’ancien chef de guilde tenta tout de même désespérément de provoquer en lui une quelconque réaction.
«
Toujours aussi sinistre, à ce que je vois. Assis-toi au moins ! -
Je suis très bien où je suis ». Le regard de Pendragon n’était plus à présent que fixé sur l’entrée de la taverne, inspectant ainsi chaque nouvel arrivant.
«
Hep Trev’, l’interpella un type étrange qui s’installait sans y avoir été invité.
J’ai r’gardé tous tes combats dans l’arène ! C’tait mortel, mec ! -
C’est le cas le dire, répondit Trevi en souriant. Nonobstant ce sourire sincère, il ne put s’empêcher de diriger son regard vers le bandage imposant qui figurait sur sa poitrine laissée nue par le fin gilet de tissu qu’il portait généralement lorsqu’il sortait pour s’abreuver ou se détendre.
-
Ca t’fait mal ? T’vas ‘voir une cicatrice, non ? »
*Oui, abruti !* aurait de bon gré répondu le chasseur blessé. Toutefois, il n’en fit rien et se contenta de branler du chef. Hier même, il avait dû affronter lors du fameux tournoi en question une ancienne lame chasseresse, et non la moindre. Le combat s’était révélé difficile, aussi bien physiquement que psychologiquement. Et c’est ce même acolyte que nos deux compères attendaient, l’un avec une terrifiante patience, l’autre avec une anxiété montante. Trev’ levait les bras, s’étirait, baillait et soupirait lorsque Pendragon chuchota « Ravage ». Une demi-seconde après l’intervention du jeune homme, la porte de la taverne s’ouvrit brutalement.
«
Une bière, exigea le nouvel arrivant,
et vite ! »
Chapitre 2 – Une finale explosive.
[Ravage]
Filant à une vitesse prodigieuse, deux étranges créatures se dirigeaient vers la finaliste qui était assise sur une chaise de bois. La première sauta par-dessus la tête de cette dernière tandis que la contournait au sol la seconde. Toutes deux s’arrêtèrent aux côtés d’un troisième animal velu qui, leur donnant sans cesse des directives, ne pouvait être autre que leur chef. Ces sortes de chats anthropomorphes doués de paroles constituaient là de bien étranges phénomènes de la nature ; on leur donnait communément le nom de « félynes ». Ceux-ci fournissaient généralement assistance aux humains dans leurs tâches quotidiennes et se différenciaient en cela de leurs malandrins de cousins connus sous le nom de « mélynx ». Quoiqu’il en soit, ces trois félynes étaient employés à l’arène de Trüskka pour préparer les combattants avant que ces derniers livrent leurs combats. A l’opposé, le futur adversaire de celle que l'on nommait "Ravage" avait sans aucun doute droit au même traitement. Elle avait d’ailleurs surpris à plusieurs reprises des propos des chassistants à l’égard de ce mystérieux concurrent. On racontait qu’il était jeune mais qu’il n’avait fait qu’une bouchée de ses précédents adversaires et qu’il combattait avec une grande épée – de celles qu’on pouvait voir utiliser certains chasseurs pour abattre les monstres. Cette description avait fait resurgir en Ravage une espèce de sentiment nostalgique car elle aurait très bien pu correspondre à celle de son ancien chef de guilde. Toutefois, elle savait que tout cela relevait du passé et qu’il ne servait à rien de ressasser de vieux souvenirs.
«
Êtes-vous prête, commença le chef des félynes,
vénérable chasseresse ? » Alors qu’elle rêvassait, les félynes en avaient profité pour la lui faire enfiler son armure. Comble du fantasme du chasseur, les boules de poiles sur pattes l’avaient équipée d’une sublime armure en peau de Barioth. Ravage se souvenait encore de sa première joute à l’encontre du majestueux animal du nord aux longues dents de sabre. En résultait une armure résistante aux coups et au froid qui avait le mérite de laisser aux femmes toute la plénitude de leurs attributs. L’armure équipée, la chasseresse de vingt-sept ans entreprit de se lever et de récupérer sa longue épée. Plus imposant que la majorité des katanas, celui-ci disposait d’un mince pommeau tandis que la surface de la lame était, à sa base, marquée d’un cercle noir dont partaient de fines branches turquoises.
«
Toujours, déclara-t-elle pleine de détermination.
-
Bien, votre combat commence dans cinq minutes ».
Le délai écoulé, on fit sortir les combattants qui prirent alors place sur le lieu du duel situé à l’extérieur et encerclé de gradins d’où le public avait une vue imprenable. Ravage agrippait déjà le pommeau de son katana mais restait perplexe. Face à elle, se tenait droit un individu casqué qui portait une armure en écailles de Lagiacrus bleu océan cabossée au niveau de la côte droite et grisée par la cendre à l’épaule gauche. La chasseresse resta abasourdie : cette armure, elle l’aurait reconnu entre mille. Par ailleurs, elle savait pertinemment quel monstre avait bien pu la mettre dans cet état. L’épéiste s’avança d’un pas, attrapa le pommeau de son imposante épée avant de la dégainer lentement. Contrairement à l’armure, la grande épée – qui avait été pour autant elle aussi fabriqué à partir de matériaux récupérés sur le Léviathan – semblait être neuve ou avoir du moins été correctement entretenue et polie récemment. Sous le coup de la colère sans doute, de l’incompréhension aussi, Ravage s’élança telle une furie sur le concurrent adverse. Ce dernier para aisément la succession de coups assénés. Cependant, la combattante impulsive acheva son enchainement par une attaque d’une déroutante vélocité. Passant derrière, elle rengaina. Quelques secondes plus tard, le heaume se fendit, du sang glissait du front de la victime de l’assaut et l’identité du personnage fut révélée.
«
Aïe, déclara-t-il sans rien ajouté d’autre.
-
Tr… Trevi ? interrogea Ravage, bouche bée.
-
Qui d’autre ? Content de te revoir. Tu ne m’avais pas reconnu ? -
Bordel, qu’est-ce que tu fous là ?! -
On verra ça après. On finit ? » Sans laisser le temps à celle-ci de reprendre son souffle et ses esprits, l’ancien chef de guilde s’élançait à son tour dans sa direction. A peine eut-elle le temps d’esquiver l’attaque horizontale de Trevi en effectuant une roulade latérale. Elle se releva rapidement et riposta immédiatement. Le jeune homme parait les coups avec la même aisance que celle dont il avait fait preuve au début du combat. En revanche, l’occasion d’asséner un nouveau coup fatal ne lui fut pas laissée. En effet, anticipant le coup, le chasseur lui flanquait un coup de pied dans les côtes. L’esquive étant impossible, elle dû se résoudre à bloquer l’attaque suivante avec son katana qui ne résista cependant pas à la violence de la grande épée. Ravage virevolta dans les airs avant de retomber lourdement sur le sol. Elle se releva péniblement et cracha du sang.
«
Bien joué, p’tit puceau, lança-t-elle.
-
Je vois que tu n’as pas perdu tes bonnes manières, rétorqua le jeune homme.
-
Mais ça ne suffira pas, continua-t-elle sans prêter attention à sa remarque.
Tu crois pouvoir m’avoir avec ton arme ? Entre la rapidité de mon katana et la lenteur de ton épée, t’es cuit mon vieux. -
Cause toujours. T’as déjà pris bien cher. » Ravage supporta mal la pique et prit tout son élan pour asséner un coup magistral à Trevi. Ce dernier, voyant le coup venir, prépara son attaque. Ravage anticipait déjà la suite : le jeune homme se mettait en position pour tenter de lui infliger un puissant coup ascendant. Tout était une question de timing. S’élançant dans sa direction, elle prit énormément de vitesse et dans sa course, arrivant à sa hauteur, fit un léger pas sur le côté pour éviter les dents puissantes de l’énorme épée avant de trancher vif dans la chair du torse de son ancien leader. Celui-ci laissa échapper de ses mains sa lourde épée et de sa bouche un profond soupir.
«
On dirait que t'as encore gagné, dit-il avant de s’étaler sur le sol, inconscient, le sourire au lèvre.